Gumpert Apollo, la mal-nomméeEnviron 12 minutes de lecture

by Julien Zlata5 juin 2023

Vous connaissez la Gumpert Apollo ? Pas les missions spatiales, mais la voiture. Si ça ne vous dit rien, continuez. Si vous connaissez déjà, continuez quand même, c’est bon pour mes stats de lecture et mon bonus annuel.

« Ho non, il va encore parler d’une supercar étrange des années 90 ultra-chère et inutilisable ! » PERDU ! Ha ! Pas du tout, car l’Apollo est née en 2005. Je vous ai bien eus, hein ? Plus sérieusement, et là on est en terrain connu, l’Apollo c’est d’abord un homme, et cet homme, c’est Roland Gumpert. Né en 1944 en Allemagne, donc dans une période qu’on va qualifier de « compliquée », le petit Roland étudie l’ingénierie mécanique à l’université de Graz, en Autriche. Fraîchement émoulu (comme le café) de son université, il entre chez la plus classe des marques du monde (non) : Audi.

Expérience professionnelle : trois fois rien

Nous sommes alors en 1969, et dans le domaine de l’automobile de grandes choses (que nous on connaît parce qu’on est en 2023, mais lui n’en a aucune idée, c’est fou !) se préparent. Chez Audi, donc, Roland entre comme ingénieur en charge des tests sur les véhicules en développement. Il grimpe les échelons rapidement : manager des tests pour l’Audi 50 en 72 puis chef du service essais et pré-développement en 74, il développe une moto pour la marque, la Z02 (qui ne verra jamais le jour). Le pic de sa carrière arrive en 1981 : il devient directeur des sports et du « special development » chez Audi Sport. C’est sous sa houlette (une petite houle) que la marque gagnera pas moins de 25 championnats en rallye, et deviendra 4 fois championne du monde.

Le groupe B : creuset de l’ambition pour la Gumpert Apollo

Et pas n’importe quels championnats de rallye ! On est en plein dans le groupe B, la Quattro S1, la fantomatique Quattro RS 002, la défaite face aux 205 T16… Bref, c’était l’bon temps. Sauf pour les spectateurs tués lors de l’accident de la RS200 de Joaquim Santos. Et pour Henri Thoivonen et son copilote Sergio Cresto, morts dans l’accident de leur Delta S4 en Corse. Mais sinon c’était super chouette le groupe B ! Bref, fin du groupe B, ça tombe bien parce que Roland est déjà passé à autre chose : il devient chef du développement technique en 1986, puis responsable ventes et marketing pour la région Asie-Pacifique en 1992. Enfin, en 1999, il est au conseil d’administration des ventes et du marketing de la joint-venture VW-Audi pour la Chine.

Les grands esprits du tuning se rencontrent

En 2001, Roland propose à Audi une sportive « nouvelle génération » capable de briller sur piste mais également sur route. Il est alors contacté par un ancien collègue de chez Audi, Roland Meyer (décidément, ils s’appellent tous Roland, les cochons ! Vous l’avez ?). Roland Meyer est parti de chez Audi, mais il n’a pas chômé : il a monté Motoren Technik Mayer, soit… MTM, bien connue des amateurs. On lui doit notamment une S2 de 420 chevaux appelée « MTM Audi S2 RSR Clubsport », et surtout le célèbre TT Bimoto, avec deux moteurs 1,8 l turbo, de 510 chevaux… chacun. À la clé, 374 km/h mesurés, c’est peut-être le TT le plus rapide jamais construit.

Enfin, en 2009, il ajoute à tout ça un record de vitesse pour un break avec un RS6 modifié chronométré à 344,2 km/h. MTM a aussi équipé des autos de course. Bref, Roland appelle Roland : « Salut Roland !  -Salut Roland ! Comment ça va Roland ? – Bah ça va, et toi Roland ? ». Ensemble, ils conviennent de créer une entreprise qui va avoir un nom pratique, concis, international : GMG Sportwagenmanufaktur Altenburg GmbH. Nous sommes en 2004.

L’équipe est complète : la Gumpert Apollo est sur les rails

Les grandes lignes de la technique sont déjà définies, les deux hommes ne sont pas des bleus et savent ce qu’ils veulent. Les premiers designs ont déjà été proposés par Marco Vanetta (qu’on ne félicite pas, d’ailleurs) et une maquette existe dès 2002. Comme beaucoup de petits constructeurs, la firme, renommée Gumpert Sportwagenmanufaktur GmbH (plus simple), a connu des soucis financiers à son démarrage, et l’Apollo n’a pu être produite qu’à partir de 2005.

Mais c’est quoi, la Gumpert Apollo ?

Avant tout, c’est un truc de dingue : le rêve de Roland, c’était d’avoir « une voiture avec une telle efficacité aérodynamique qu’on pourrait la conduire sur le plafond d’un tunnel à haute vitesse. Avec cette voiture, c’est possible ». Alors que les choses soient claires : personne n’a testé, pas même Tommy Lee Jones (oui c’est une ref de vieux, encore). Mais moult études en soufflerie ont été menées pour la conception de l’Apollo, qui a été conçue comme une voiture de course, mais utilisable au quotidien (refrain connu dans mes articles, je sais).

T’as pas une gueule de porte-bonheur

Alors évacuons tout de suite l’éléphant dans la pièce : elle est moche. Aucune discussion n’est possible. Mais sa forme suit sa fonction, et je renie Ettore Bugatti sans aucun scrupule en affirmant : ça peut aller vite et être turbo-vilain. On dirait une bagnole dessinée par un gamin de 9 ans (au contraire de la Ferrari F40, dessinée par un gamin de 6 ans) avec tous les poncifs moches des années 2000 : les optiques et les feux Lexus sous glace lisse, les énormes grilles de refroidissement, le diffuseur arrière et l’aileron qui en deviennent comiques… Bref, là encore, on sait où les économies ont été faites. Mais c’était pour mettre cet argent dans le département « atomiser tout ce qui roule » (« Geatomisen alles was roulen sich » en allemand), alors c’est pour la bonne cause.

Et franchement, l’appeler Apollo, c’est presque du troll à ce niveau.

Très vite, collée au sol : la carte de visite de la Gumpert Apollo

Donc, ce rêve, il commence comme pas mal de bagnoles de course, avec un châssis-baignoire tubulaire : une belle façon de se mettre dans le bain (rires, s’il vous plaît) ! Plus sérieusement, cela permet d’avoir à la fois une bonne rigidité structurelle et un poids contenu (98 kg). Ensuite une cellule de survie en fibres de carbone pour les passagers, qui elle ne pèse que 23 kg, et une crash-box entre les roues avant (pour absorber l’énergie cinétique en cas de choc). Les suspensions sont inboard comme sur les prototypes de course. Et avec toute cette inspiration de course, ce qui devait arriver arriva : la voiture de série était homologuée route, mais aussi par la FIA.

Form follows function

Rien n’est gratuit dans le design (moche) de l’Apollo : les porte-à-faux et l’empattement sont réduits pour améliorer l’agilité, l’aileron appuie la voiture au sol, les énormes entrées d’air nourrissent le moteur (on y vient !) et refroidissent un peu tout, les portes papillon sont rendues obligatoires par la conception du châssis (tout comme sur la Mercedes 300SL, en 1954). Les baquets n’existent pas, puisqu’ils sont moulés dans la cellule de survie : ce sont les pédales et le volant qui sont -un peu- réglables.

Vous le voyez, l’idée c’est d’aller vite, et pour cela il faut être plaqué par terre, être léger, et la Gumpert Apollo fait moins de 1 200 kg, réservoir de 120 l plein (soit un bon 90 kg de sans plomb 98) ! Et pour tracter tout ça, on va y mettre un moteur, avec quelques chevaux quand même, histoire de faire bonne figure face à la Ferrari Enzo (660 chevaux, 1 255 kg à vide) ou la Porsche Carrera GT (612 chevaux, 1 380 kg à vide).

Gumpert Apollo, vulgaire RS4 rebadgée

Et c’est chez les copains d’Audi que Roland va demander un moteur, qui sera ce bon vieux V8 4,2 l, celui qui propulse notamment le break RS4. Sauf que… c’est l’autre Roland qui va un peu le modifier, avec l’adjonction de deux turbos, quelques subtilités, et paf : ça fait des Chocapic. 650 Chocapic précisément. Et ça c’est la version de base : en option, on a le droit à 700 ou 800 Chocapic, ce qui est beaucoup.

Bien sûr, le moteur est au top de la technologie : carter sec, quatre arbres à cames en tête avec Variocam, allumage sans distributeur (8 bobines d’allumage), pistons et vilebrequin forgés (il faut bien les encaisser, les chevaux). Derrière tout ça, une boîte de vitesses séquentielle avec embrayage bi-disque. Bien sûr, les rapports de boîte sont personnalisables, sinon c’est pas drôle.

Et alors, ça crache ?

Hé bien, sans surprise : oui, ça crache : 3 secondes de 0 à 100 km/h, 8,9 secondes de 0 à 200 km/h, 360 km/h de vitesse max : on est sur du haut niveau.

Et là vous me dites, il reste un cratère.

En fait il y a deux cratères : le premier, c’est que ce sont les chiffres officiels, donc bon, c’est pas du 100 % sûr : on connaît des marques de prestige qui trouvent des stats d’accélération que personne n’arrive à reproduire après (un indice chez vous : une a mis dans le nom d’un de ses modèles sa vitesse max, que ledit modèle n’a jamais atteint, et l’autre a vu le blason de la capitale du Bade-Wurtemberg sur une Porsche et s’est dit que c’était joli, un équidé). Le deuxième c’est que tous ces chiffres, vu que les rapports de boîte sont personnalisables, ça peut changer. Alors en tant qu’ingénieur (non) je peux vous répondre : on n’a aucune mesure indépendante de la vitesse max de la Gumpert Apollo, et c’est bien dommage.

Mais alors, comment on sait si elle va vite ou pas, cette Gumpert Apollo (c’est chiant le SEO, hein ?) ?

Hé bien on le sait parce que le jour où elle a tourné sur le circuit de Top Gear aux mains expertes du Stig ça a duré 1:17,1 en 2012, et il a fallu 2 ans pour qu’elle soit détrônée par la Bugatti Veyron Super Sport. De même, les journalistes du Sport Auto allemand ont établi à son volant (enfin, au volant d’une Apollo Speed, version longue queue, et avec 700 chevaux) un record de 7:11,57 sur la boucle nord du Nürburgring. Et c’est plutôt pas mal, étant donné que c’était le record pour une voiture de série.

Les Allemands, connus pour leur rigueur…

La voiture a été très bien accueillie par la presse, et les Allemands de Sport Auto lui ont même attribué en 2009 le score parfait de 100 points dans leur supertest. C’était la première fois en 17 ans d’existence du test qu’une voiture l’obtenait. Les critères, eux, sont basés sur les performances : Les véhicules peuvent gagner dix points dans chacune des disciplines : « accélération transversale », « soufflerie » et « accélération/freinage 0-200-0 ». Quinze points sont ensuite attribués dans les catégories « slalom de 36 mètres » et « test d’évitement ».

Les deux disciplines restantes se déroulent sur le circuit : d’une part sur le petit circuit de Hockenheim, d’autre part sur la légendaire boucle nord du Nürburgring. Dans chacune de ces catégories, les voitures peuvent se voir attribuer un maximum de 20 points. Et il est difficile de taxer les testeurs de chauvins : en face, c’est toute la gamme Porsche qui s’alignait, avec de très bons scores pour la GT2 RS et la GT3 RS, qui ont frôlé les 100 points.

Je veux spotter une Gumpert Apollo !

Fun fact : il y a au moins une Apollo en France, et une à Monaco. Cette dernière est assez facile à reconnaître, c’est une Sport (donc a priori 750 chevaux), et elle est la propriété de la pilote Gabriela Jílková, pilote en GT4 FFSA. Autant dire que contrairement à ce que peuvent insinuer certains commentateurs sur YouTube, elle sait parfaitement s’en servir.

C’est pas LA Gumpert Apollo, mais LES Gumpert Apollo

L’Apollo a eu diverses versions, à commencer par ses versions « normales » : L’Apollo (650 chevaux, petit béquet), l’Apollo Sport (700 ou 750 chevaux, gros aileron) et l’Apollo Enraged (780 chevaux). Ensuite il y a eu l’Apollo Speed, prévue pour aller… vite. Au menu, longue queue, moins d’ailerons, et donc une vitesse de pointe optimisée. Vendue en version 750 chevaux, sa vitesse est de « plus de 360 km/h » selon la marque. Enfin, l’Apollo R est une version suffisamment dingue (860 chevaux !) pour ne pas être homologuée route, et donc à garder pour des track days entre potes (millionnaires).

Disclaimer : Gumpert faisait la promo des trois options moteur à 650, 700 ou 800 chevaux. J’ai demandé si cela voulait dire que l’Apollo normale était disponible en ces trois niveaux de puissance, et idem pour l’Apollo Speed et l’Apollo Enraged (donc neuf versions au total), ou si cela voulait dire que la version 650 ch était la « Normale », la version 700 ch la « Speed » et la version 800 ch la Enraged (appelée Race dans certains documents). Roland ne m’a jamais répondu.

La Gumpert Apollo en course

L’Apollo a été conçue comme une auto de course, et elle le prouve : avant même la sortie de son premier exemplaire routier, un prototype a roulé dès 2005 en Divinol Cup, une série allemande de course de voitures de tourisme aujourd’hui renommée GTC Race. Ses résultats n’ont pas été suffisamment marquants pour rester dans les annales. Une Apollo a également été engagée aux 24 Heures du Nürburgring 2008, en version hybride, avec un moteur plus petit (3,3 l). C’est Heinz-Harald Frentzen qui était au volant, avec Dominik Schwager, Dirk Müller et Marcel Engels, et ils ont fini à une honorable (bof) 184e place, sur 223.

La vie après la Gumpert Apollo

Pour Gumpert Sportwagenmanufaktur GmbH, ça n’a pas été le succès fou : elle a déposé le bilan en août 2013. Rachetée par le consortium Hong-Kongais Ideal Team Venture (déjà propriétaire de De Tomaso), l’entreprise a été renommée Apollo Automobil GmbH et a présenté l’Arrow, une supercar de presque 1 000 chevaux, en 2016. En novembre de la même année, Roland quitte le navire, et en juin 2017 Apollo Automobil présente la Intensa Emozione. Roland, de son côté, a fondé RG, qui a présenté en 2021 la Nathalie, un coupé électrique à pile à combustible fonctionnant au méthanol. Comme pour l’Apollo, on voit que le design c’est pas la priorité pour Roland. La Nathalie ressemble à une GT-R, ça veut tout dire (coucou patron !).

La conclusion de l’article

Encore un truc bizarre que j’aime bien, encore un truc inutilisable au quotidien que j’aime bien, et un des meilleurs rapports prix/performance du moment : vous pouvez avoir la puissance d’une McLaren 720 S mais 200 kg de moins, pour le même prix (circa 350 000 €, mais la bête est rare).

Toutes les photos de la Gumpert Apollo

Crédits photos : RM Auctions, Caradisiac, Evo Magazine, Fortezza Scuderia, Gumpert Sportwagen Manufaktur

About The Author
Julien Zlata