À l’occasion de l’opé presse m’ayant permis de prendre le volant du nouveau Cupra Formentor, j’ai voulu expliquer deux ou trois trucs sur le constructeur et notamment pourquoi le Formentor est aussi important pour la marque. Car ça a été l’arme qui a tué Seat.
J’avais prévu d’intégrer ce passage à l’essai. Mais il était trop long, alors j’en ai fait cet article. La réponse est simple : c’est le premier véhicule 100 % Cupra qui n’est pas un véhicule du groupe vulgairement rebadgé. Et si vous voulez en savoir plus, notamment pourquoi Seat n’est plus, c’est dans la suite.
Cupra est un constructeur qui intrigue, tant peu de personnes le connaissent. Pourtant, les retours positifs des photos du premier Formentor sur Twitter m’ont donné envie d’en parler. Peut-être que ce sera décliné pour d’autres. Si vous aimez ça, dites-le-nous sur Twitter. Voici donc pourquoi le Cupra Formentor est important pour Cupra. Et on commence forcément par la Sociedad Española de Automóviles de Turismo plus communément appelée SEAT.
Qu’est-ce qui a tué Seat ?
Seat n’est plus. Mais Seat n’a jamais été. Le constructeur prend vie le 9 mai 1950. Dans l’histoire, il y a SIAT (Sociedad Ibérica de Automóviles de Turismo) crée par la banque espagnole privée Banco Urquijo, le gouvernement espagnol et Fiat qui détient 7 % des parts.
Seat rebadge des Fiat en les adaptant aux goûts des Espagnols à savoir : du jaune poussin, des bandes racing et des boites de conserve en guise de silencieux. Non je déconne, ça viendra après la démocratisation des parkings de supermarchés.
Les voitures Seat vont se vendre et 17 ans plus tard, Fiat en possède 36 %, soit plus des 32 % du capital de l’État. J’ai personnellement découvert le constructeur avec la Seat Marbella, une Panda rebadgée.
À la mort de Franco, l’État espagnol a ordre de revendre les entreprises déficitaires, dont Seat. Fiat, qui avait énormément investi et s’apprête à racheter les parts restantes. Mais un audit pointe une dette cachée de 20 milliards de pésétas (32 millions d’euros actuels). Cacher 32 millions et François Fillon était encore trop jeune à l’époque. Dire que j’arrive pas à cacher 5 € à ma femme… Sans rentrer trop dans le détail, dites-vous que Seat employait 30 % de personnel en trop selon les critères italiens. Pourtant, Fiat lâche 3 milliards de pésétas et souhaite acquérir Seat, si et seulement si le gouvernement efface la note. Ça sera à un rien de se faire. Mais Fiat essuie une crise en Italie, le gouvernement espagnol refuse et Fiat lâche toutes ses parts pour 1 péséta (0,17 €) par action.
Seat est dans la mouise : sans Fiat, plus de projet et plus de ressources de production. Il y a bien un accord signé pour continuer à fabriquer des modèles sur les bases des 127, Ritmo et Panda, mais copier ne suffit pas (comme le dit le philosophe James Bond). Seat propose faire ce qu’il sait faire à savoir : fabriquer des voitures pour les autres. Et ça intéresse Volkswagen qui accepte un partenariat. Nous sommes en 1982.
En 1986, Volkswagen rachète 75 % de Seat. Le constructeur veut s’étendre pour faire plus de moula. Pour cela, le groupe cherche à réaliser une technique marketing vieille comme une chemise à carreaux sur un CSP+ non canadien : la segmentation. Seat sera le bas de gamme du groupe. La porte d’entrée vers des constructeurs plus prestigieux.
Et ça fonctionne. Notamment grâce à l’Ibiza, qui doit son dessin à Giorgetto Giugiaro, sur une base de Fiat Ritmo. Il va même y avoir un système Porsche dedans. D’ailleurs, Nicolas Laperruque en a fait un super papier ici.
Le problème de Seat est qu’il n’a aucun modèle qui n’est pas une version rebadgée d’un autre modèle. C’est ce qui va tuer le constructeur. De 2010 à 2014, c’est la mouise. Les ventes faiblissent (45 % de baisse entre 2014 et 2008), parce que les Seat sont des Volkswagen au rabais et le marché est au SUV, ce dont ne dispose pas le constructeur. Le coup de grâce est donné par l’Exeo (2011), qui n’est qu’une A4 (B7) rebadgée d’avant-dernière génération. Les gens qui achètent Seat ne sont plus ceux qui rêvent de rouler en Audi sans avoir les moyens de rouler en Volkswagen.
L’arrivée de Luca De Meo et le plafond de verre de Seat
Luca De Meo (dont on a parlé dans l’essai du Tarraco) débarque à la tête du groupe en 2015. Il permet à Seat de piocher dans les organes récents du groupe VAG et ça, ça change la donne. Il chope un Tiguan et le rend plus sexy à travers deux déclinaisons : l’Ateca et le Tarraco pour que le catalogue propose enfin des SUV. Trois avec l’Arona. Il va également réorganiser la prod à Martorell (oui, Seat est catalan) en retapant les vestiaires, échangeant avec le personnel sur les chaîne de prod. Ça cartonne et Seat sort enfin la tête de l’eau. La Leon 3 est une réussite. Ce qui permet au constructeur de développer plus sérieusement sa branche sportive Cupra.
Comprenez le grand écart : initialement, les Seat étaient des engins tunés par des proprios nourris à GTI Mag, avec des polystyrènes de Darty repeints au Posca. Ça donnait des trucs jaunes qui fumaient noirs, dont les conducteurs se régalaient à laisser des traces de pneus sur les sols de parkings autant que dans leurs futals, tant les reprog et autres bidouilles étaient instables. Il a fallu une décennie pour que Seat se défasse de cette image.
Malheureusement, cette ascension coûte cher, littéralement. Les Seat ne sont plus aussi attractives financièrement. Entre les pièces de dernière génération et les coûts plus importants pour répondre aux normes de pollution et de sécurité, il devient impossible de tenir la politique des bagnoles pas chères. Il faut monter en gamme et ça, c’est impossible pour Seat.
La martingale De Meo
Luca a une martingale fondée sur une technique marketing qui existe depuis un bail : pour augmenter en valeur, il faut augmenter le désir du consommateur. Et vous savez quoi ? Le désir est plus sensible à l’émotion qu’à la technique. Luca a réussi à redresser Fiat justement en rendant la 500 désirable. Il a pris le concept Trepiunio (3+1) de 2004 et a joué sa martingale : le néo-rétro. Piocher dans un modèle historique à fort pouvoir émotionnel et en faire une version moderne qui s’en rapproche (coucou la R5, la R4, la R17).
La Fiat 500 devait avoir un prix de vente sous la Panda. Mais son aura de voiture qui est « trop mimi regarde cette petite bouille oh je l’adore » a permis à Fiat de vendre du 2 cylindres (0,9L) refroidi par air dans une voiture très plastique à 13 500 €. La marge est colossale pour le secteur. On ne vend pas une voiture, on vend un objet tendance et accessoirement, un marqueur social. La performance ? On s’en bat les glaouis. L’équipement ? Mettez la clim, le toit ouvrant et la couleur de la carrosserie sur le tableau de bord. Le reste OSEF.
Mais cette stratégie ne peut fonctionner avec Seat. Car le constructeur n’a pas de modèle émotionnellement historique. De modèle à lui tout court d’ailleurs. Donc monter en gamme est impossible. Il faut repartir de zéro.
Une stratégie qui Cupra la tête de Seat
Cupra (pour Cup Racing), c’est la branche sportive de Seat, je l’ai déjà dit. Une division sport qui a vu le jour en 1996, à l’époque où les petites GTI étaient la panacée de l’automobile. Normal, Seat a toujours voulu insuffler une âme sportive à ses bagnoles, et ça a a commencé avec l’Ibiza SXI et son système Porsche.
La première Cupra était une Ibiza. Elle arborait fièrement un bloc 2L 16 soupapes atmo de 150 chevaux surmonté d’une boite manuelle à 5 rapports. Ça lâchait 8 tonnes de CO2 à chaque accélération, mais c’était drôle, surtout à 216 km/h sur l’autobahn. La dernière Ibiza Cupra développe 180 ch à partir d’un 1.4L turbo. Je vous les mets toutes à la suite.
Par la suite, Cupra se fait un petit nom dans l’univers automobile.
L’apogée de la marque est la Leon 3 Cupra break. Les chiffres sont lunaires pour une voiture qui ne paie pas de mine :
- 310 ch (moteur 4cyl de 2L avec un gros turbo)
- 4 roues motrices
- Un couple de 380 Nm disponible de 1 800 à 5 500 tr/min
- DSG 6 évidemment
- Un différentiel à glissement limité
- Le 0 à 100 km/h en 4,9 secondes (soit le temps d’une Porsche 911 Carrera S type 997)
- C’est à peine 1,2 s de plus que la Hygrekperf en thermique pour 200 ch de moins !
- 1 545 kg
- 250 km/h en pointe (limitée électroniquement)
- Des feins Brembo aux étriers à 4 pistons (et rouges évidemment)
- Des pneus Michelin Sport (2girls 1) Cup 2
Pour 39 700 euros en 2017 (je chiale, c’est le prix de rien aujourd’hui)
Et tout ça avec 2 sièges auto, des bagages plein le coffre, la paille encore en plastique à la bouche. Le sleeper parfait ! Sous-estimé, il met plus de fessées que ma voiture électrique.
Mais souvenez-vous : Seat ne peut monter en gamme. C’est stratégiquement compliqué. La solution est alors de créer un nouveau constructeur. De partir d’une feuille blanche. Cupra devient un constructeur à part entière le 31 janvier 2018.
Cupra Formentor à raison
Comme Seat à l’époque, Cupra rebadge des voitures. Enfin, pas tout à fait. Les versions Cupra sont dévergondées. Le premier à sortir sous le logo trop inspiré de celui de Transformers est l’Ateca Cupra. Un SUV. « Oh bordel, un Sport Utility Vehicle ». C’est ce que se sont dit tous les journalistes avant d’en prendre le volant, puis d’afficher un sourire niais, constatant que pour une fois, l’acronyme n’est pas usurpé.
La Leon suit rapidement. Là encore, le résultat est top. Mais difficile d’accepter la rallonge de prix (presque le double) pour une Seat avec un logo différent. Cupra le sait.
Pour que le constructeur puisse s’affirmer de façon crédible, il lui faut une voiture qui n’est pas trouvable chez un autre constructeur. Une voiture qui symbolise Cupra. Une caisse au design musclé, à la position de conduite digne d’une sportive, aux proportions idéales (pas trop longue, pas trop courte) et un peu surélevée, car les SUV ont toujours le vent en poupe. Julio Lozano et Jorge Diez vont travailler sur le dessin. Diez est celui à qui l’on doit la plus belle des Leon. Le Formentor voit le jour. Malheureusement, sa présentation ne peut avoir lieu, la faute à une petite épidémie mondiale.
Cela n’empêche pas le modèle de cartonner avec 120 100 livraisons en Europe en 2023. Pour un faux SUV au coffre plutôt réduit d’un constructeur inconnu pour 9 personnes sur 10, c’est fort. Mais comment cela se fait-ce ? J’ai une petite théorie. Enfin pas moi, les divinités du marketing. Ça pourrait s’appeler la méthode Britney Spears.
La méthode Britney Spears
Vous vous rappelez des débuts de Britney ? Une jeune fille prude, vierge, jolie, qui danse avec ses potes du lycée. De quoi faire vriller tous les réalisateurs pédophiles d’Hollywood. Un pur produit commercial avec une cible précise : les jeunes de 12 à 16 piges. La discographie de Britney est calée sur l’âge de son audience. Au début, on est copain. Puis on grandit, et elle passe de « je pense à toi de tout mon cœur » à « je suis ton esclave, biatche » pour terminer en femme fatale névrosée avec des gosses.
Cupra est une femme fatale ! Non, ce n’est pas ça. Cupra cible des acheteurs (des gens qui poussent une porte de concession et lâchent un bon de commande pour un véhicule neuf). Et c’est normal. Ils avaient entre 18 et 25 ans quand Seat existait, quand ils n’avaient pas l’oseille pour du premium. Cupra est une marque jeune, qui joue le côté sportif et qui utilise (entre autres) de l’Alcantara et des couleurs cuivrées pour premiumiser les voitures. Les gens qui avaient des Seat dans les années 2000 ont entre 35 et 60 ans aujourd’hui (fourchette large, mais on fait les gosses plus tard quand on en fait CQFD). Leurs attentes sont différentes. Ma théorie n’est pas hyper au point, puisque visiblement, les acheteurs Cupra viennent en majorité d’autres constructeurs. Mais je mets un billet qu’ils avaient en tête une Seat Cupra, de façon plus ou moins consciente, ou que ces acheteurs ont conduit une Seat à un moment ou à un autre en se disant que c’était idiot d’acheter une Polo à la place d’une Ibiza, pareille, moins chère et plus jolie. Et je double la mise sur le fait qu’ils sont Antillais et Portugais en majorité.
La stratégie s’avère payante : malgré des tarifs élevés, Cupra vend des modèles. Plus que les prévisions du groupe. Les pages Facebook montrent un engagement des utilisateurs. C’est probablement ce qui a contribué à acter la fin de Seat pour 2030. Car Cupra permet de marger plus. Avec la Born et le Tavascan, le constructeur a déjà deux pieds dans l’électrique. Un moyen de préparer la transition.
Si le constructeur vous intéresse, nous avons les essais suivants à vous proposer :
Cupra Formentor II VZ 333 (2024)
Cupra Formentor VZ e-hybrid 272 (2024)
Et pour le fun, l’expérience VR de Cupra dans une vraie voiture.