Les NFT et l’automobile : MST numérique ou renouveau de la voiture ?Environ 9 minutes de lecture

by Le Stagiaire22 février 2022

Dans la rédaction, on joue les sujets chiants compliqués au tirage au sort façon Motus. Mais dans mon sac, il n’y a que des boules noires. Et cette fois-ci, il y avait dessus les mots « automobile » et « NFT » (et un zizi mal dessiné par @Novichok). De fait, me voilà embarqué dans l’un des sujets les plus complexes et chauds du net actuellement.

Un jeton automobile non fongible

En novembre dernier, Alpine a vendu des livrées de l’A110 GTA en NFT. Il y a quelques semaines, c’était au tour d’Alfa Romeo de livrer un NFT avec son Tonale pour « offrir un suivi de l’entretien du modèle infalsifiable ». A tous les coups, si vous n’êtes pas dans la crypto-monnaie, vous vous êtes demandés ce que ça signifie. Et à tous les coups, vous n’avez rien pigé à l’histoire. Je vais essayer de vous aider et de mettre un peu d’ordre dans tout ça. Parce que c’était un peu le bordel sur Twitter. Et comme Twitter c’est la vraie fausse vie, nous devions agir. Enfin moi.

Le début du buzz

Il y a quasiment un an, un russe nommé Arseny Kostromin a réalisé une modélisation 3D de l’Alpine A110 baptisée Alpine A110 GTA (pour Gran Turismo Automobili et non en référence au jeu vidéo éponyme). En novembre 2021, vous avez certainement vu passer cinq livrées de cette création 3D. Cinq livrées qui ont été vendues par Alpine, sous forme de NFT via la plateforme OpenSea.

Cinq livrées achetées en Ethers, une crypto monnaie (monnaie virtuelle) qui nécessite un portefeuille virtuel, car placées sur la blockchain de la plateforme Ethereum. Et là, vous êtes perdus. Rassurez-vous, ça va aller.

Avant de parler de NFT pour Non-Fongible Token (jeton non fongible) on va parler de la technologie de stockage utilisée : la blockchain. Puis de bagnoles, c’est promis.

La Blockchain 

La blockchain et un concept de base de données numériques décentralisée et stockée sur un ensemble de machines jouant un rôle de serveur. En gros, au lieu d’avoir l’information numérique stockée sur un serveur (ou un disque dur en réseau), elle est stockée dans la blockchain soit simultanément sur des milliers de serveurs ou disques durs si vous préférez.

A quoi ça sert ? J’y viens.

Pour simplifier ça, nous allons faire une analogie. Prenons un contrat établi entre vous et moi. J’ai une copie. Vous aussi. Imaginons que je souhaite falsifier mon exemplaire. Ce sera votre parole contre la mienne.

Ajoutons une tierce personne. Pour falsifier le contrat, je vais devoir soudoyer cette tierce personne en menaçant de balancer des trucs compromettants sur sa vie ou en lui filant un ticket resto. Alors on aura 2 exemplaires falsifiés contre le vôtre original. Nous gagnons. C’est la mouise pour vous.

Imaginons 1000 autres tierces personnes. Là, je vais être à court de dossiers et d’argent, car je ne suis ni Mediapart ni un Balkany.

A partir de là, vous aurez forcément gain de cause.


Pour rendre la chose encore plus fiable, imaginez que ces contrats soient en plus codés et par conséquent incompréhensibles pour les tierces personnes qui en possèdent la copie. Dès lors, la modification devient impossible.

La blockchain c’est ça. Ce sont des millions de tierces personnes qui possèdent un exemplaire original du contrat, crypté et sans réellement savoir ce que c’est. Pour cela, elles mettent à disposition des machines connectées à internet.

Initialement, cette technologie permet de sécuriser des transactions et donc de certifier l’authenticité numérique. Impossible de revenir en arrière en cas de modification puisque l’historique est enregistré. Autrement dit, à chaque modification se crée un nouveau fichier.

Cela engendre deux choses :

  1. Un coût technique.
  2. Un coût énergétique.

Dans le cas d’Ethereum, on en a un troisième : le GAS. un montant représentant les frais énergétiques du NFT et qui permet également d’apporter pas mal de sécurité supplémentaire, notamment en rendant les attaques massives chères. Un coût directement lié à l’énergie nécessaire à la mise en ligne du NFT sur cette blockchain Ethereum.

Le Haine Elfe Thé ? Oui le NFT

Le NFT, c’est un fichier numérique que l’on dépose sur une blockchain. Il est ainsi unique, codé, certifié. Si je veux déposer le même fichier, je ne peux pas.

Le NFT peut être une image, une création Photoshop (.PSD), une modélisation 3D (comme pour l’Alpine A110), un tableau Excel, un selfie de vous nu(e) sur une Rolls Mansory, bref, tout élément numérique.

Un fichier numérique placé sur la blockchain devient un NFT.

Mais à quoi ça peut servir ?

Prenons la Joconde. On peut tous en acheter une déclinaison (poster, puzzle,). Mais en réaliser une copie parfaite est un peu compliqué. Il faut être doué et réussir à intégrer les défauts originaux. Des yeux experts verront la supercherie.

Pour une œuvre numérique, c’est nettement plus simple.

Prenons cette photo d’une superbe Subaroue. Un simple Ctrl C – Ctrl V suffit à dupliquer l’original pour en posséder un clone. Dès lors, comment reconnaître la copie ? Les exifs (informations numériques du fichier) ? Ils sont modifiables.

Vous voyez le souci ?

Or, en transformant cette photo en NFT, autrement dit en plaçant le fichier sur la blockchain, on le rend unique car certifié, daté et défini. Dès lors, toute copie ne pourra prétendre être l’originale. 

Ndrl : notez que rien ne m’empêche (à part l’article L. 54-10-1 du code monétaire et financier) de copier une œuvre et d’en faire un NFT et ainsi, de faire de la copie l’image originale. C’est d’ailleurs le gros souci en ce moment, l’appropriation d’œuvres.

Le cas NFT de l’Alfa Romeo Tonale : une bonne idée très mal communiquée

Alfa c’est une marque d’amour, d’émotion et de passion. Alfa ce sont le V6 Busso, la 8C, la Disco Volante et ce fameux Tonale, qui ressemble fortement à un Mazda CX5 italianisé. Ce qui est cocasse dans la mesure où Mazda est considéré comme l’Alfa Romeo nipponne. Mais je m’égare.

Les gens du marketing devaient avoir quelques collaborateurs boursicotant un peu avec la crytpo-monnaie. Ils se sont dit que balancer « NFT » comme ça à la populace, sous couvert d’un traçage ultra sécurisé des réparations de la bagnole serait une bonne idée. Je n’en suis pas sûr. Ou le service communication est totalement passé à côté.

Prenons l’extrait du communiqué Alfa : « Sur consentement du client, le NFT enregistrera les données du véhicule, générant un certificat qui permettra de garantir que la voiture a été correctement entretenue, au bénéfice de sa valeur résiduelle ».

Donc l’idée est que chaque modification apportée à votre Tonale soit également apportée au NFT.

On prend l’état du véhicule. On en fait un fichier NFT, on le balance sur la blockchain (pour rappel, cela a un coût, mais négligeable face au prix d’une voiture). A chaque modifications ou entretien apporté, une modification du fichier est réalisée.

Mais ce n’est pas possible. Du moins de cette manière. Au mieux, on pourra générer un nouveau fichier à chaque intervention sur le véhicule. Mais une fois sur la blockchain, on ne peut pas modifier le fichier.

C’est d’ailleurs tout le principe du NFT. Sinon ça ne servirait à rien !

L’idée exposée par Alfa existe toutefois et n’est pas un NFT. On appelle cela, le Smart Contract. Le contrat intelligent, c’est le concept évoqué au début de l’article. C’est utilisé depuis un moment par les banques d’ailleurs. Le concept étant de mettre ce contrat sur une blockchain. Les données se mettent à jour selon le protocole d’exécution du contrat, empêchant toute intervention extérieure. Un protocole qui aboutit à la création d’un nouveau NFT.

Reste à voir si le NFT initial permet justement d’exécuter ce protocole (ce qui est l’idée en fait). Si oui, alors Alfa Romeo ne ment pas :

Révision de l’Alfa Tonale => utilisation du NFT pour lancer le Smart Contrat qui valide les modifications apportées par cette révision. Impossible alors de revenir en arrière ou d’exécuter le protocole sans ce NFT. Oui, le NFT est la clé inviolable permettant la mise à jour du protocole de suivi.

Sans la clé tu ne rentres pas. Un peu comme une boîte de nuit mais avec des bytes à la place des humains.

J’aurais aimé être là à la réunion avec le service de communication.

« Bonjour à tous. Nous avons une idée géniale. Certifier le protocole de suivi grâce à l’exécution d’un contrat intelligent placé sur la blockchain avec comme clé d’activation un NFT généré à l’achat du véhicule. Et n’oubliez pas les mentions légales. Sinon vous préférez des sushis ou des kebabs ? »

Bon tout ça c’est mignon, mais cela engendre quelques problèmes.

Premier problème : pour votre bien askip

Il faut que le centre qui effectue l’entretien ait accès au fichier et puisse le mettre à jour. Déjà, il ne faut pas que le centre oublie de réaliser cette modification, ce qui n’est pas gagné. Mais en plus, seul le réseau officiel pourra effectuer la manip. Cela relègue d’office tout garage non certifié par Alfa pour s’occuper de votre Tonale. Pratique.

Vous vous dites sûrement qu’une mise à jour automatique est faisable. Non. Il faut une intervention humaine. Sauf si Alfa a prévu un algorithme dans le système, mais j’en doute.

Le NFT est à vous ? Donc vous pouvez le vendre, et après ?

Partons du principe que votre Tonale ne soit pas pris en LOA ou LLD : cela rendrait ce concept de NFT totalement inutile, puisque votre véhicule (qui n’est d’ailleurs pas le vôtre) sera rendu après une période de 3-4 ans, et vous vous fouterez alors totalement de la traçabilité (sauf si vous aimez la viande italienne).

A qui appartient le NFT ? S’il est à vous, alors vous pouvez le vendre. A quoi cela va servir ? A rien. Mais le marché du NFT est un marché spéculatif. Rare sont les NFT « utiles ».

Imaginons qu’une personne plus populaire numériquement qu’un pauvre stagiaire décide de vendre le NFT généré à l’achat de son Alfa Romeo Tonale. Sa popularité lui permettant de se faire un gros billet. Que se passera-t-il ? Tant techniquement pour votre véhicule que juridiquement ? Car le propriétaire d’un NFT a tous les droits de le vendre.

En réalité, c’est un peu plus abstrait. Le propriétaire possède le jeton et non le droit de propriété intellectuelle. Il peut donc vendre le jeton, mais Alfa reste titulaire du fichier.

Reste à voir comment Alfa Romeo a verrouillé cette faille. Car le jeton vendu, impossible de lancer le smart contrat et donc d’ajouter les entretiens à la chaine.

Le bilant carbone ? Quel bilan carbone ?

J’ai une théorie foireuse. Alfa Romeo n’aime pas le greenwashing ni l’écologie bagnolesque (le Tonale est la seule voiture hybride de la marque). Alors elle a voulu se venger. Comment ? Un NFT a un coût énergétique de 200 kg de CO2 (selon le NY Times).

Or, Alfa et la fiabilité, c’est comme l’huile et l’eau (cf le rapport JD Power).

La marque italienne a, selon mon raisonnement foireux, décidé de miser sur les passages effrenés des caisses au garage pour exploser l’envoi de NFT et venir équilibrer le bilan carbone du Tonale avec celui de la Giulia GTA.

Blague à part, j’ai trouvé assez cocasse qu’une marque qui a la réputation d’envoyer régulièrement ses modèles au garage décide de traquer le suivi de ces passages pour rassurer les clients.

Le NFT dans l’automobile : c’est RidiCooL !

De prime abord, le NFT semble être une frénésie virtuelle débile.

Mais on peut imaginer plusieurs usages cool du NFT dans l’univers auto. Prenons l’univers du jeu vidéo automobile : on peut imaginer intégrer le NFT de sa voiture en 3D dans GTA, Gran Turismo, NFS, etc. Vous ne joueriez plus avec la même voiture que la vôtre mais avec votre voiture.

Imaginons qu’un collectif d’internautes souhaite soutenir financièrement une écurie sans le sou. L’écurie mettrait en vente une partie voire l’intégralité des éléments sous forme de NFT. Les internautes ne seraient plus des donateurs mais des actionnaires du projet. On irait plus loin que la simple contrepartie des projets de financement participatif.

Je m’arrête là, même si le sujet est passionnant car Hoonited n’a aucun partenariat avec des antidouleurs.

Un grand merci à François et à Raphou pour leurs aides précieuses sur les subtilités, mais aussi à mes parents sans qui je ne serais pas là aujourd’hui, à mon moniteur d’auto-école Momo qui m’a aidé à faire des demi-tour très rapidement lorsqu’on voyait une voiture de police pendant notre trafic de jeux gravé PSX sur CD Verbatim, au patron @vtyok sans qui j’aurais sûrement une vie stable aujourd’hui, mais aussi à vous, tous, qui soutenez chaque jour des gens que je ne connais pas et dont je me fous totalement. Alors au nom de toutes et tous, merci.

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Le Stagiaire
Nourrit à base d'huile de tournesol 15W40 et de chips Vico, le stagiaire n'a pas de nom, parce qu'il ne le mérite pas. Il nettoie les locaux virtuels de Hoonited et entre 2 coups de serpillère virtuelle, il écrit des trucs et taxe des voitures pour les essais.