Ligier JS2 : en France on n’a pas de pétrole mais on a plein de marques de bagnoles disparuesEnviron 13 minutes de lecture

by Julien Zlata11 juillet 2023

Haaaa, encore un article sur une supercar oubliée et complètement dingue des années 90, il nous gonfle le vieux. PLOT TWIST, c’est une voiture des années 70 ! Ha, ça vous en bouche un coin, hein ? Et puis aussi, c’est pas une supercar. Tout d’abord, disclaimer : il existe deux Ligier, et la plus connue est évidemment Ligier (bah oui), qui fabrique des voitures sans permis. Celle-ci est la continuation directe de la marque ayant vendu la JS2, Guy Ligier ayant décidé de diversifier ses activités après l’échec des sportives. L’autre, que vous connaissez peut-être aussi, est Ligier Automotive, anciennement Onroak Automotive, qui est une écurie de course créant des voitures… ben, de course. Celle-là, elle est née fin 2018, avec la bénédiction de Guy Ligier. Mais revenons à notre Ligier JS2.

Baptisée par la tragédie (est-ce que tu m’entends, hé ho ?)

Donc, Guy est un boucher qui fait du sport à un assez bon niveau, et qui entre dans les sports mécaniques avec la moto : déjà très bon pilote amateur, il devient champion de France 500 cm3 en 1959 et 1960, à 29 et 30 ans. Parallèlement, il a commencé à rouler en auto aussi, en 1964 en Formule 2, aux 24 Heures du Mans puis en rallye : champion de France des rallyes catégorie « Grand Tourisme, Sport, Sport-prototype » sur une Mustang Shelby GT350 en 1966, il est particulièrement bon sur les épreuves courues sur circuit. Un an plus tard, il gagne les 12 Heures de Reims avec son grand ami Jo Schlesser, avec qui il monte une écurie de monoplace en F2 en 1968. Lors du Grand prix de France 1968 malheureusement, Jo meurt. Cela choque suffisamment Guy pour qu’il annonce sa retraite à la fin de la saison.

L’année suivante, Guy crée sa première voiture : la JS1. Le nom est un hommage à son meilleur ami (si vous avez bien lu vous savez qui c’est). Pour le dire rapidement, ça a plus été un proto de JS2 qu’autre chose qui n’a jamais existé en version routière. Et là commence notre histoire, en 1971.

Légèreté, rigidité, efficacité

La JS2 devra être une version améliorée de la JS1, mais surtout homologuée. L’idée étant de créer une auto permettant de se balader et de gagner sur circuit comme en rallye. Oui, c’est beaucoup demander, mais Guy sait ce qu’il veut, et il s’entoure de gens compétents, à commencer par Michel Tétu, qui concevra plus tard la F1 Renault RS10, alias première F1 à moteur turbocompressé à remporter un grand prix. Et donc, pour faire une auto qui marche fort, il faut y mettre des chevaux et un châssis rigide, et enlever du poids.

Ce qui tombe bien, c’est que c’est la même solution technique qui va résoudre les points deux et trois. Et cette solution, c’est la poutre. C’est donc un châssis-poutre en acier qui va soutenir la carrosserie faite… en fibre, logique, et qui va permettre de gagner du poids (entre 850 et 950 kilos selon les versions). Les solutions techniques sont simples et éprouvées : double triangulation, moteur central… mais également des nouveautés : la poutre du châssis, faite d’un sandwich acier/mousse polyuréthane, est un brevet Ligier, tout comme l’amortisseur de roulis.

Les grandes ambitions de la JS2

Pour le design, Guy n’a peur de rien, il fait appel à Frua, connu notamment pour avoir dessiné la magnifique Maserati Mistral, mais aussi le coupé Monteverdi High Speed, qui ressemble fort à une Jensen Interceptor sans le chouette côté break de chasse. Et Frua met des feux de 504 Coupé (puis de 304), des poignées de SM… c’est une pratique répandue chez tout le monde, vous connaissez la chanson. On aime ou on n’aime pas, j’avoue que je trouve le design de la Ligier JS2 plutôt insipide, et le trois-quarts arrière vraiment bof.

Contrairement à notre tradition bien française des voitures ultra-légères avec des mécaniques Renault/Simca (coucou Alpine, CG, Jidé, Fournier-Marcadier…), Guy Ligier voulait une motorisation plus noble (et plus puissante, quitte à faire), et s’est donc tourné vers Ford pour emprunter le V6 Cologne de 2,6 l de la Capri 2600 RS et ses 150 chevaux. Mais Ford ayant fait un Capri(ce), c’est Citroën qui fournira finalement le moteur Maserati de la SM (Tipo C114 de son p’tit nom, puis AM 114 en 3.0 l) et ses 170 puis 195 chevaux, voire plus, on y reviendra.

Cœur de SM

Le moteur de la SM, parlons-en : c’est donc un V6, bien connu pour sa fiabilité des amateurs d’anciennes, qui a eu une belle carrière. Déjà, sa présence dans une des françaises les plus influentes des années 70, voire de l’histoire de l’automobile, pose le bestiau. Ce bloc est moderne : 2 arbres à cames en tête, 12 soupapes dont celles d’échappement refroidies au sodium (j’en parle ici notamment, oui c’est une honteuse auto-promo mais ma prime de fin d’année en dépend), cotes super-carrées, compact avec ses 31 cm de long, et léger (140 kg). Ce bloc fait d’abord 2 670 cm3 pour 170 chevaux, puis 2 965 cm3 pour 195 chevaux dans sa version Maserati Merak, dont la JS2 bénéficiera à partir de 1973.

Un cas particulier de Ligier JS2 : la phase 2

Alors cette JS2 orangée que vous voyez en photo, est très spéciale. Déjà, elle est sur plein de photos, parce que je connais son propriétaire et que j’ai eu l’occasion de rouler en passager dedans. Mais surtout, elle est unique. Déjà, c’est une JS2 « Phase 2 ». Mais c’est quoi la phase 2 ? C’est ce qui vient après la phase 1. Et dans le cas de la JS2, c’est une série de voitures (sept au total) avec de grosses modifications, les plus grosses ne se voyant pas. Pour commencer, j’ai lu d’autres articles expliquant « la phase 2 c’est des modifications esthétiques ». Alors oui, mais c’est 10 % de ce qui change. Heureusement, Hoonited n’est que Vérité et on va tout de suite rectifier les bêtises qu’on peut trouver sur le web (hop, tacle donc clivage donc réactions outrées donc audience donc pubs donc fortune).

Pour commencer, l’évident : les phases 2 ont des phares sous trappes (dans le 78). Mais quelques phases 1 aussi. Ha. Donc c’est un signe, mais pas forcément. La phase 2 devait être la grosse mise à jour de la JS2 : plus performante, un peu plus lourde (950 kg contre 895 environ) mais surtout plus fiable et avec un comportement routier amélioré.

Tout change à l’intérieur, et ça se voit un peu à l’extérieur

Et ces modifications, elles touchent un peu à tout, mais surtout aux trains roulants : porte-moyeux de Citroën CX, triangulation revue, barres stabilisatrices au diamètre majoré, circuit de refroidissement intégralement repensé, et freins à disques ventilés. Du coup, le truc ultime pour les reconnaître si vous croisez une Ligier JS2 et que vous voulez vous la péter, ce sont les goujons de roues : les Ph.2 en ont 5, les « classiques » en ont 4.

Je dis « si vous croisez une Ligier JS2 » mais c’est quand même un animal rare, hein : on estime qu’il y en a eu à peu près 83 de fabriquées (il en resterait une quarantaine), dont 7 ph.2. Et dans ces sept Ph.2, une (la rouge orangée) est depuis quelques années dans une collection privée aux Etats-Unis, et une des restantes est à l’arrêt depuis 20 ans et son propriétaire n’a pas pour projet de la faire rouler prochainement. Mais bon, avec l’existence de Ligier Automotive, on en voit parfois sur certains événements, parce que c’est bon pour la com’ !

Un cas encore plus particulier : cette Ligier JS2 rouge orangée, là.

Cette JS2 est spéciale, comme je l’ai expliqué plus haut, mais elle est même mieux que ça : elle est unique. En effet, c’était l’auto de développement de l’usine, conduite au quotidien par Guy Ligier himself, et donc celle qui servait de mulet : nouvelle idée, installation sur la voiture du patron, et un mois plus tard, le verdict tombe : si c’est bien on garde et on généralise, sinon on démonte tout. C’est donc la plus aboutie des JS2 en existence et elle a notamment un détail qui change tout : un moteur 3.0 l de Merak SS, bon pour 220 chevaux. Et dans 950 kg, ça envoie du bois/pâté/steak/lourd (rayez les mentions inutiles).

Pour parfaire le tout, son propriétaire de l’époque a fiabilisé et optimisé l’auto : bon pilote et habitué des rallyes historiques, il a installé des harnais, un répartiteur de freinage, et une vitre derrière les sièges pour voir le V6. Sur les conseils de Michel Tétu, il a également troqué les soupapes creuses contre des conventionnelles, et a modifié la chaîne d’entrainement de pompe à huile, point faible du V6. Enfin, il a relocalisé les bobines pour faciliter les réparations en cas de panne.

La carrière en course de la Ligier JS2 : bien, mais pas top

Évidemment, la JS2 a été engagée en course : c’était prévu depuis le début ! Par conséquent, les modifications à apporter n’étaient pas énormes : le châssis est ainsi passé de la poutre acier à l’aluminium renforcé par une treillis tubulaire, et Maserati a fourni un moteur en version 270 chevaux. L’usine a donc fabriqué en tout et pour tout quatre « protos » de course, dont un sera vendu à un privé.

Premier coup d’éclat en 1974, avec un doublé au tour auto : Nicolas/Rives gagne, suivi de Darniche/Jaubert, devant la Stratos de Jean-Claude Andruet et une horde de 911. En 1974, un pilote amateur engage sa JS2 privée aux 6 heures de Dakar et termine deuxième. Deux des exemplaires de prototype usine, à la toute fin de la carrière de la voiture en 1975, auront droit au merveilleux V8 Cosworth DFV 3.0 l et un a obtenu une belle deuxième place au classement général des 24 Heures du Mans (Lafosse/Chasseuil), le meilleur résultat de la JS2 dans la Sarthe, après une 8e place en 1974 (Laffite/Serpaggi) et une 19e place en 1973 (voiture privée, Laurent/Delalande/Marche). Depuis, on voit cette même auto régulièrement au Tour Auto, avec une victoire dans son groupe en 2022 aux mains de Mr John of B et Le Commandeur.

C’est pas la taille (de l’aileron) qui compte

Sur les images qui illustrent cet excellent article, on voit la différence entre des protos qui ont été prévus pour rouler sur circuit (Le Mans notamment), qui ont le gros aileron et qui ont une garde au sol réduite et ceux (en fait celui) prévu pour une utilisation mixte rallye/circuit (aileron de type béquet et garde au sol plus haute). Le dernier est celui vendu au pilote privé Claude Delalande, qui voulait lui faire des rallyes routiers et conserver une certaine polyvalence.

J’ai beaucoup discuté avec son propriétaire de l’époque (elle a changé de main il y a un an environ), un passionné de la marque qui a acheté l’auto en 1974 pour l’engager sur les 6 Heures de Dakar et quelques courses de côte dans le centre de la France. Celui-ci adorait la marque et connaissait bien Guy Ligier. Cherchant une JS2 de course pour courir en rallye, c’est le patron lui-même qui lui a conseillé de se diriger vers cette JS2 rouge (à l’époque).

Bon, parlons peu, parlons gros sous : le prix de la Ligier JS2

Alors acheter une Ligier JS2, c’est pas simple du tout : il y en a eu très peu (grosso modo 80) de fabriquées, il en reste encore moins, elles sont dans des collections privées, et bien souvent leurs propriétaires sont des personnes d’un certain âge, qui n’ont pas envie de vendre, même s’ils ne roulent plus avec, pour des raisons parfaitement compréhensibles de nostalgie. Tout cela fait donc que le prix… Ben c’est un peu au coup par coup, ça dépend de l’humeur du vendeur comme de celle de l’acheteur, mais ça va tourner autour de 70 000 € pour une Ph.1 et vraisemblablement 40-50% de plus pour une Ph.2, rareté oblige.

Pour information, une Ligier JS2 blanche à redémarrer s’est vendue 49 500 € chez RM Sotheby’s en 2020. En 2018, une bleue restaurée mais avec le pare-brise fendu s’est vendu chez Artcurial pour la somme de 81 056 €. En 2016 enfin, c’est une réplique de la voiture officielle de 1973 qui a été vendue : intégralement restaurée, compétitive et éligible à pas mal d’événements historiques : elle est partie à 143 040 € chez Artcurial. Il y a aussi eu des ventes de particulier à particulier, notamment la rouge orangée qui illustre l’article, mais également le prototype bleu qui illustre aussi l’article. Les prix de ces deux ventes sont inconnus.

La fin de la Ligier JS2, et la conclusion

La JS2 ne s’est jamais très bien vendue, mais ça n’était pas un problème : c’était le début de la production, les résultats en course étaient prometteurs. Et du coup ce n’est pas le choc pétrolier qui a tué la Ligier JS2, mais en fait si : le choc pétrolier finit de tuer Citroën, rachetée par Peugeot. Le premier réflexe est de revendre Maserati : plus de moteur pour la JS2. Plutôt que de relancer toute une période d’ingénierie et de recherche pour un nouveau moteur, Guy Ligier préfère arrêter les frais.

Donc, aujourd’hui, il reste très peu de JS2 sur la route, mais il en reste quand même ! On en croise parfois en course de côte, et c’est tant mieux parce que c’est quand même une auto avec de vraies qualités en rallye : hyper équilibrée, avec un châssis ultra-rigide, et un moteur qui pousse plutôt pas mal. D’expérience, en version 220 chevaux dans 950 kg, ça pousse velu ! Et sans parler du regard des gens sur la route qui ne savent pas ce qui vient de les doubler…

Bref, la Ligier JS2 a été une chouette aventure, avec des vrais morceaux de bromance dedans, l’obsession d’un homme, sa réussite en course, et sa fin brutale. La marque n’est pas morte cependant, et Ligier Automotive commercialise une JS2R dont le nom et la silhouette sont travaillés pour arnaquer les vieux riches rappeler aux amateurs le glorieux passé de la JS2, même si elle n’est pas homologuée sur route.

Toutes les photos de la Ligier JS2

Copyright photos : Artcurial, RM Sotheby’s, mbautomobiles.fr, montesquieuvolvestre.com, moi

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Julien Zlata