Ford Siam : moche comme Mansory, mais avec des records de vitesseEnviron 8 minutes de lecture

by Julien Zlata9 août 2023

Aujourd’hui, je vais vous conter l’histoire très singulière et malheureusement oubliée de la Ford Siam (qui n’est pas un missile). Ils ne sont plus nombreux, ceux qui se souviennent de cette auto au physique si particulier (moche) qui fait pourtant partie du patrimoine français automobile.

L’histoire de la Ford Siam commence en 1950. Joseph Ampoulié est alors agent Ford à Neuilly-sur-Seine. Depuis 2 ans, il a dans son showroom des Vedettes, des berlines de plutôt bonne facture et moyen-haut de gamme. La Vedette marche notamment sur les plates-bandes de la Traction 15-Six ou encore de la Salmson S4-E, alors en fin de vie. Particularité, la Vedette est mue par un V8, le célèbre Ford Flathead bien connu des hot-rodders.

Ce dernier est un 8 cylindres à soupapes latérales : pas de culbuteurs, d’où la tête plate et moins de bruit. Côté performances, en revanche, c’est pas ouf : 2 158 cm3 et 60 chevaux, pour 1 200 kg. C’est quand même pas trop mal pour l’époque, mais les ventes ne suivent pas. Ce n’est pas une catastrophe, mais elle n’est pas non plus en tête des classements. Du coup, Joseph aimerait bien faire un coup de pub au modèle.

Certaines sources affirment de leur côté que ce serait par pur hasard que les deux hommes se sont rencontrés, et que la voiture n’est née que de leur amour pour le grand sport. Étrange quand même de partir d’une Vedette pour ça…

Battez des records le dimanche, vendez des voitures le lundi !

Pendant ce temps à Vera Cruz Albert Simille est ingénieur technique à Poissy, chez Ford SAF (Société Anonyme France, c’est Ford France en gros), et lui aussi aimerait bien faire quelque chose d’un peu particulier avec la Vedette. Lors d’une discussion avec Joseph, ils prennent alors la décision qui s’impose quand on veut vendre une auto dans les années 50. Ils vont en faire une version de course et battre des records de vitesse sur l’anneau de Montlhéry. Ils nomment le projet Ford Siam, pour SImille-AMpoulié (non, on ne l’écrit pas SIAM, c’est pas moi qui fais les règles typographiques).

Pour piloter la Ford Siam, des habitués de la course

Les deux hommes sont rejoints dans leur aventure par Henri Trillaud, agent Ford ayant couru sur Delahaye 135 S sous la bannière Écurie France, Maurice Varet qui avait aussi couru au sein de l’écurie Gersac sur Delage et qui travaillait à Poissy, et Louis Gérard (rien que ça !). Un certain M. Gallet dessine une carrosserie (moche) tout en aluminium.

Pimp my Vedette : la naissance de la Ford Siam

Le petit groupe achète donc une Vedette, qu’ils installent dans le garage de Joseph Ampoulié pour en faire une bête de records. Pas d’ordinateurs et de lasers, on parle de crayons et de marteaux ici. La voiture est lourdement modifiée : rabaissée, allégée, elle pèse au final 850 kgs. Les lames de ressort sont retournées pour rabaisser la caisse, la transmission finale est allongée, des roues fil Robergel sont posées… Et tout ça, avec 5 types qui prennent de leur temps libre, et sur leur argent de poche pour acheter les pièces ! En sous-main, ils reçoivent tout de même le soutien officieux de François Lehideux, directeur général de Ford SAF à l’époque.

Pour eul’moteur, j’y ai mis un stage 12

Mais le plus gros du travail se fera sur le moteur : les ingénieurs vont transformer le V8 latéral en un V8 culbuté, tout en baissant sa cylindrée de 2 158 à 1 995 cm3 pour pouvoir rentrer dans la classe E (entre 1 501 et 2 000 cm3) des records, tout en améliorant sa puissance ! Pour y arriver, ils mettent les petits plats dans les grands : chambres de combustion hémisphériques, grosses soupapes en tête, taux de compression de 7,2:1 (contre 6,6:1), nouveau vilebrequin, il est nourri par quatre carburateurs Zenith inversés. Le résultat est impressionnant : le moteur développe 94 chevaux à 4 700 tr/min, soit un bond de 50 % avec une cylindrée moindre ! Évidemment, le rapport poids/puissance suit la tendance : on passe de grosso modo 20 à 9 kg/cheval ! Tout cela permet une vitesse maximale de 180 km/h (contre 130 km/h à l’origine !).

La Ford Siam entre dans l’histoire de l’automobile (française, en tous cas)

La voiture est prête à l’été 1952, on peut aller chasser les records. Le jour du 26 juillet se lève alors sur l’anneau de Montlhéry, et le départ a lieu à 22h45 : après trois jours à rouler non-stop, la Ford Siam éclate deux records détenus depuis 1937 : le record des 72h, avec 9 383,854 km parcourus en 72 heures à la vitesse moyenne de 130,331 km/h, et le record des 10 000 km, parcourus en 76 heures 32 minutes et 15 secondes à la vitesse moyenne de 130,654 km/h. Le meilleur tour étant parcouru à la vitesse moyenne de 169,800 km/h et le dernier tour à 153 km/h (Pilotes : ampoulié/Trillaud/Varet/Bonnerot/Gorgaud/Lanique). Pas mal pour une Ford Vedette ! Les records amèneront même M. Lehideux à évoquer un engagement aux 24 heures du Mans 1953, qui ne sera jamais concrétisé.

Alcool, drogue : pour la Ford Siam, c’est la descente aux enfers.

Une fois ses records battus et le champagne bu, la voiture est engagée en course (avec des carburateurs Solex, cette fois) aux 24 heures de Spa le 26/07/1953, où elle abandonne sur casse moteur, et au Bol d’or automobile les 14 et 15 mai 1955 (avec le moteur poussé à 110 chevaux). Pendant cette dernière course, sur déficience des freins, J.Ampoulié part en tonneaux et finit dans un talus : c’est la fin de l’histoire en course. La voiture est alors remisée dans le garage d’Ampoulié (indemne suite au crash).

Donnée ensuite au musée des V8 français de Brioude, elle restera dans les réserves dans son triste état, c’est-à-dire sans carrosserie : il n’en restait qu’une portière ! Les propriétaires du musée se demandaient même s’il fallait la restaurer ou la laisser telle quelle, comme le propose cette carte postale.

La semi-résurrection de la Ford Siam, et peut-être à nouveau dans l’avenir ?

Au moment de la liquidation du musée, en 1992, elle a été rachetée par un amateur local, qui a reconstruit l’auto à l’origine, sauf sa carrosserie, pour des raisons de coût et d’homologation, beaucoup plus difficile pour une carrosserie fermée. C’est pourquoi il s’est tourné vers un fabricant de coques de répliques de Cobra pour habiller sa Ford Siam, et en a fait un petit roadster qu’on a pu voir à la fin des années 90/début des années 2000 sur quelques rassemblements du centre de la France (si vous me lisez régulièrement, vous savez très bien ce que je vais dire : je préfère une auto modifiée qui roule à une auto originale qui reste cachée dans un garage). Enfin, elle fut ensuite rachetée par un autre amateur français en 2019.

La conclusion !

J’aime bien l’histoire de cette auto, parce que c’est celle d’amateurs (ou presque) qui avaient un rêve : faire du pognon battre des records, et qui y sont parvenus. Dans un garage, avec un soutien officieux de la marque mais rien de conséquent, et probablement des nuits à la lumière blafarde des néons dudit garage, à tuner une Vedette et à plier de l’alu pour en faire un carrosserie grotesque aérodynamique. La Ford Siam ne connaîtra probablement jamais de reconstruction comme à l’identique, mais elle continue de vivre dans nos cœurs (dans le mien, en tous cas) et j’avais envie d’en parler parce que l’histoire est chouette et pas très connue.

Toutes les photos de la Ford Siam

Crédit photos : MB automobiles, Les rendez-vous de la reine

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Julien Zlata