Ferrari F40 : la reine-mèreEnviron 16 minutes de lecture

by Julien Zlata25 décembre 2023

Bon, fallait bien y passer à un moment : on va parler de la F40. Considérée comme la reine des supercars, je préfère dire qu’elle en est une très belle illustration. En plus, elle réunit à la fois la technique, l’histoire, la politique… bref, c’est un jalon de l’histoire de Ferrari, de l’histoire des sportives, et de l’histoire de l’automobile (oui, je le pense, mais pas d’inquiétude : les méchancetés arrivent).

Un petit peu d’histoire : tout commence avec le groupe B. Encore. Légendaire groupe B : du bruit, des chevaux, des autos improbables, des morts, une fin tragique… bref, tout ce qu’il faut pour créer une légende. Donc, en 1984, Ferrari sort la GTO. Pas la 288, la GTO tout court. C’est après, pour éviter la confusion avec LA GTO (la 250, donc, qui s’appelle 250 GTO), que l’appellation 288 a été adoptée par les fans et plus ou moins avalisée par Enzo lui-même, conscient du fait que ses fans avaient du mal à différencier deux noms dont seulement trois caractères (sur 6) étaient différents.

Fille directe de la GTO

Bref, trêve de railleries (la controverse c’est de l’audience, l’audience c’est de l’argent, l’argent c’est du pognon, vous connaissez la chanson). Donc, en 1984, la GTO est grosso modo une 308 avec deux turbos et 400 chevaux. Bon, en fait elle est rallongée et élargie, le moteur est désormais longitudinal… mais vous voyez l’idée. Construite pour courir en groupe B dans la catégorie 4 litres (ou son équivalent 2,8 litres turbo) elle est homologuée par la FIA le 2 juin 1985 aux côtés de la Daihatsu Charade, de la Renault Alpine GTA, de la Honda CRX, de la Triumph TR7, de la FSO Polonez 2000 C… bref. Mais la GTO ne courra jamais en groupe B. Du coup, Nicola Materazzi propose rapidement une version plus énervée pour courir en GT, sur les traces de la (formidable) 512 BB LM, et pour s’adapter à la concurrence du groupe B.

Le groupe B, encore et toujours

Cette version, ce sera la GTO Evoluzione : développée sur les week-ends de Nico et son équipe, c’est une GTO très fâchée, prévue pour courir sur circuit : 940 kg, et surtout 650 chevaux et un dessin à faire passer la Vega Missyl pour un modèle de sobriété et d’élégance. Imaginez du Mansory avant l’heure. La voiture, conçue pour courir, manque cependant de développement : comme le disait Pierre Bardinon, qui en a forcément eu une : « la première fois que j’ai roulé avec au Mas du Clos, on a perdu une roue ! c’était une super auto, très efficace, mais qui manquait de mise au point ». Manque de bol, le groupe B est brutalement arrêté pour de bêtes raisons de morts atroces.

Les leçons apprises lors du développement des GTO Evoluzione serviront donc pour le développement de la F40 : apparemment il est venu aux oreilles des patrons de Ferrari que les modèles les plus récents s’étaient un peu trop embourgeoisés. La réponse est là : elle sera légère, puissante, avec un intérieur de bagnole de course, un prix de fou et un dessin d’enfant de 5 ans. Accessoirement, ça deviendra instantanément (à sa sortie, en 1987) une légende, et à raison.

La Ferrari F40, prévue comme une auto de course pour la route. Comme la Miura, tiens…

Quand on approche une F40, déjà on approche une auto qui est mythique, et qui est relativement petite, rapportée à nos standards actuels : hyper-compacte (4,43 m de long sur 1,98 m de large et 1,13 m de haut), elle offre un dessin qui manque un peu de subtilité, mais qui s’est imprimé dans la rétine de millions de personnes sur plusieurs générations : c’est une icône. D’ailleurs ce dessin est l’expression du principe de « form follows function » (Louis Sullivan, architecte mais ça marche quand même) : rien n’est accessoire dans le dessin de la F40. Les prises d’air sont là pour quelques chose (nourrir le moteur, les turbos, refroidir le moteur, les freins…) ; l’aileron mammouthesque est aussi là pour quelque chose, les extracteurs idem…

L’agressivité, si elle est bien là, n’est pas aussi caricaturale que sur une 812 par exemple, et surtout elle n’est pas là pour le style. Détail qui tue que tout le monde connaît mais quand même : quand on regarde de près, on voit que la peinture n’est pas lisse : pour économiser du poids, il y a moins de couches de peinture et donc on voit les formes de la fibre de carbone de la carrosserie. Magique.

Dedans, c’est spartiate. Et ça tombe bien, c’était l’idée. Des moquettes ? Du cuir ? Une direction assistée ? Un ABS ? Des poignées de portes ? Ha mais c’est bon pour les autres, ça. Toute cette chasse au poids a une conséquence logique : 1 240 kg (version européenne, réservoirs pleins et extincteur dans la voiture) et 1 349 kg (version US). Les chiffres de poids ne sont pas simples à trouver, et Ferrari fournit des chiffres parfois fantaisistes. Ceux annoncés ici viennent de propriétaires eux-mêmes, donc a priori fiables.

Schnitzel contre cannelloni, Lasagne contre Curry Wurst, Terence Hill contre l’inspecteur Derrick

Petit point technique quand même, même si on sait déjà à peu près tout de la F40 : des dimensions compactes (4360 x 1970 x 1124 mm), un moteur Tipo F120 040 à la fois compact et puissant avec 2,9 litres, 32 soupapes, deux turbos IHI RHB52 LW qui soufflent à 1,2 bar et ça donne 478 chevaux et 577 Nm. A titre de comparaison, la 959 développe 450 chevaux et 500 Nm.

Après, ce sont des moteurs de conception très différente malgré leur cylindrée équivalente (flat-6 contre V8), et les turbos de la 959 sont montés non pas en parallèle mais en séquentiel : à bas régime, un seul des turbos est utilisé, le deuxième arrive en renfort après (pression maximale de suralimentation 1,0 bar). Je ne parle même pas des différences de philosophie des deux autos : aux antipodes, mais bon, le haut de gamme Ferrari et le haut de gamme Porsche sortent à peu près en même temps, dans des puissances proches, pour les journalistes c’est donc l’heure du du-du-du-du-duel !

Les performances de la F40 sont à l’avenant de son look et de sa conception : presque 1 200 kg à sec et plus de 470 chevaux, ça marche fort : 0 à 100 km/h en 4,1 s, le 1 000 m d.a en 20,9 s et une Vmax de 324 km/h. Quand même. Grosso modo presque aussi fort qu’une Venturi 400.

La puissance réelle de la Ferrari F40 ? À ce niveau, est-ce important ?

La F40 a connu plusieurs versions, mais en tous cas dans les « normales » il y a deux grandes catégories : les euro/US, déjà, avec des US plus lourdes mais un peu plus puissantes. Là encore, pas de chiffres officiels, mais les US seraient autour des 500 chevaux pour compenser le poids supplémentaire. Après, l’excellente officine DK Engineering, dont contester le sérieux reviendrait à contester la probité et le professionnalisme du Patron (donc, impensable) a passé une F40 euro au banc de puissance, et celle-ci serait sortie avec plus de 500 chevaux (circa 515).

Mais bon, je vous invite à ne pas vous fier aux passages au banc, et surtout pour une mesure absolue. Une petite modification de la température extérieure, un peu de vent, la qualité du carburant, peut vite faire varier la mesure de quelques pourcents. Et 5 %, sur 478 chevaux, c’est déjà 23,9 chevaux. Et hop, on est à 500. Comme quoi.

La F40 américaine : comme d’hab, les ricains gâchent tout.

Les Américains ont eu le droit à leur version de la F40 à partir de 1990, de par leurs lois différentes. Alors qu’on pense souvent aux pare-chocs et aux catalyseurs, il y a beaucoup plus de différences, qu’on va lister ici : d’abord le plus évident, la lame avant est plus grosse, et elle a une « moustache » qui court sur tout l’avant, pareil à l’arrière. Les side markers sont également présents aux quatre coins. A l’arrière, fini les anti-brouillards dans le bouclier, et un troisième feu stop est monté sous l’aileron.

À l’intérieur, la F40 US a droit à des ceintures automatiques comme les bagnoles dans les séries des années 80 (c’était ça ou un airbag, selon la loi américaine). Elle a aussi des baquets différents, en deux parties avec donc un dossier réglable. Les versions européennes ont des baquets monoblocs. Les bouchons d’essence, sont différents, quelques renforts de carrosserie ont été ajoutés, une injection d’air a été installée pour des raisons de contrôles d’émissions, les rapports de boîte sont légèrement plus longs… la liste n’est pas exhaustive. Mais trois points importants surnagent : un peu plus de puissance (plus de 500 chevaux annoncés, car un peu plus lourdes), des réservoirs en aluminium (on verra plus tard que c’est important) et enfin la suppression de la suspension ajustable. Bref, les Américains font encore leurs casse-pieds.

Passage obligé pour la Ferrari F40

Préambule : toutes les F40 sont sorties de l’usine dans la teinte Rosso Corsa, avec un intérieur Stoffa Vigogna, soit tissu, en gros. Point. Mais bon, ça c’est pour la plèbe. Il existe notamment un client très très riche et exigeant (pensez toute petite pétromonarchie, charia, et Bandar Seri Begawan) qui s’est permis pas mal d’excentricités avec la Ferrari F40, les sportives plus largement, et l’automobile en général. Donc, ce client a renvoyé au moins 7 exemplaires de F40 chez Pininfarina pour des travaux les rendant de facto uniques.

Par exemple, la famille possède 3 Ferrari F40 noires dont une matte avec conduite à droite, une normale et une LM toutes deux avec une bande rouge courant tout autour. Le plus fou ? Elles ont toutes un intérieur de Testarossa avec radio, clim, vitres électriques. Il y a aussi une F40 gris satiné restaurée en 2019 par DK engineering. Et ce n’est pas confirmé, mais il y aurait une des Ferrari F40 de la famille qui aurait été convertie en boîte automatique.

Les différentes versions de la Ferrari F40, parce qu’il y en a !

La Ferrari F40 a été produite avec trois spécifications principales. Tout d’abord, la plus rare, les vitres en Lexan. Dès sa commercialisation, les acheteurs (européens, donc) avaient ce choix : c’est plus léger, (énormément) moins pratique, et ça n’a été demandé que pour 91 exemplaires (sur 1 315 environ en tout). Était également proposée en option la suspension ajustable : avec trois positions : la « normale » qu’ont toutes les F40, une surbaissée au-dessus de 100 km/h et une surélevée pour le franchissement de plaques d’égout, quand on reste plus de quelques secondes sous les 30 km/h. Enfin, certains exemplaires européens, en fin de production, ont aussi été catalysés.

Les arcanes de la Ferrari F40, ou comment faire semblant d’être un grand connaisseur :

Oui, les arcanes, parce que là on entre dans le pinaillage, mais un pinaillage qui est important pour les acheteurs et les vendeurs de Ferrari F40, mais pas pour vous (moi j’ai acheté la mienne avec ma prime de Noël 2022/2023, merci patron !). Donc, pour simplifier à l’extrême : une F40 peut avoir des vitres en lexan, une suspension ajustable à trois positions, et des catalyseurs. Et tout ça, ça pèse dans la balance quand on achète ou qu’on vend.

Pour commencer, les versions les plus désirables et les plus chères sont les « non-cat, non-adjust ». Vues comme les plus pures : techniquement plus simples, moins de risques de pannes, ce sont les premières fabriquées. Si vous voulez taper dans le haut du panier, rajoutez les vitres en Lexan : petites meurtrières coulissantes, absolument pas pratiques mais plus légères et surtout 91 exemplaires de fabriqués. Sur 1 315 (environ). Après, la suspension ajustable ne semble pas jouer de rôle déterminant dans les prix de vente, alors que les catalyseurs font baisser la valeur de l’auto.

Les versions course de la Ferrari F40 : la F40 LM/Competizione

Dès le lancement de la F40, Ferrari mandate Michelotto pour créer une version qui courra en IMSA GTO : ce sera la F40 LM, renommée plus tard Competizione. Le sorcier (c’est comme ça qu’on dit quand on parle d’un préparateur de bagnoles classiques, apparemment) italien fabrique 19 F40 LM, pas une de plus. La F40 LM est plus légère (1 040 kgs tous pleins faits), et Michelotto change les turbos pour des plus gros et les règle sur… 2,5 bars de pression, simplement. Le résultat est une puissance de 720 chevaux, en spécifications « course », c’est-à-dire AVEC les restricteurs d’admission obligatoires : le chiffre de 900 chevaux est communément admis pour la puissance « libre », même si jamais confirmé par Michelotto ni Ferrari.

Tout le châssis est adapté, avec une aéro modifiée (le gros aileron !), des jantes plus larges (et incroyablement cool), des freins retravaillés… Les performances sont à la hauteur du look : 3,1 s au 0 à 100 km/h, en 1989. La F40 LM va donc courir en IMSA, avec une première course à Laguna Seca en octobre 1989 avec Jean Alesi derrière le volant, pour une troisième place. On estime autour de 25 le nombre de F40 « normales » qui seront modifiées en Competizione avec des pièces Michelotto par des pilotes privés.

La Ferrari F40 en GT européen : la CSAI-GT

Une version GT pour le GT italien a également été conçue, toujours par Michelotto : ce sera la Ferrari F40 CSAI-GT, ou F40 GT : plus proches de l’origine que la LM, elles seront produites à 7 exemplaires en 1993. Plus puissantes d’une centaine de chevaux que l’origine avec 590 chevaux, elles sont plus légères et avec des suspensions différentes, des vitres en plexiglas, des réservoirs à remplissage rapide… Elles feront une belle carrière en GT italien, puis en JGTC au pays du soleil levant, qui sait si bien mélanger tradition et modernité dans le respect et la politesse et la propreté. Plusieurs GT seront plus tard modifiées en LM par Michelotto. Juste pour le fun : en 2004, une F40 LM se négociait pour 490 000 euros.

La LM GTE : la Ferrari F40 ultime

La LM GTE (pour Gran Turismo Evoluzione) est l’évolution de la Ferrari F40 LM : plus puissante, plus rapide, plus rare, plus tout. Elle a été conçue en 1996 pour participer au championnat BPR GT, et construite en six exemplaires, toujours par Michelotto. Étant donné que le règlement impose des restricteurs plus petits sur l’admission, Michelotto installe un moteur de 3,6 l de cylindrée dans la F40 GTE pour gagner en couple (et 630 chevaux quand même, en spécifications course). Il lui installe également des freins carbone/céramique et une boîte de vitesses séquentielle Xtrac : ce sont les trois principales différences avec la Competizione. Par la suite, comme pour les LM, d’autres F40 seront converties en GTE avec des pièces Michelotto.

Combien ça coûte, une Ferrari F40 ?

Bon, concrètement, ça coûte combien une Ferrari F40 ? Disons-le sans détour : ça coûte cher. En 2020, la moyenne des prix aux enchères était de $ 1.2 millions, et en juillet 2023, on était plutôt autour de $ 2.75 millions. Soit, un bon placement, même s’il faut relativiser : les prix de juillet 2023 sont fortement portés par la Monterey Car Week, avec des scores fous et deux exemplaires partant pour plus de 3 millions (dont une pour 3.3 millions chez RM, mais elle avait 932 km).

Evidemment le kilométrage joue un rôle important : moins, c’est plus cher. Par exemple, le 5/11/2022 une Ferrari F40 très kilométrée (48 000 km !) s’est vendue pour « seulement » $ 1.6 millions, alors que dans le même temps une autre avec 2 900 km partait pour… 3.9 millions (19/08/2022) ! Vous connaissez probablement ma position sur les kilométrages de supercars : plus ils sont hauts, mieux c’est. Les petits défauts de jeunesse ont déjà été réglés, la voiture est vraisemblablement entretenue correctement sinon elle n’y serait pas arrivée, et ces exemplaires sont moins chers. Que du bonheur.

Petite parenthèse : la vie avec une Ferrari F40

Alors, une F40, ça coûte combien à l’entretien ? Hé bien surprise (non) : ça coûte cher. Mais pas tant que ça. La petite révision, c’est grosso modo 1 000 € : vidange, contrôles divers. Par contre il y a de grosses factures : la distribution, tous les 10 ans, pour 15 000 € environ : il faut descendre tout le bloc moteur-boîte. Il y a aussi, sur les versions équipées : les cellules de carburant (je vous l’avait dit, que ça aurait son importance !) : elles sont en plastique souple, homologuées FIA, mais avec une durée de vie de 10 ans, et c’est 15 000 € à changer environ.

En gros, avec les extras (elle a presque 40 ans quand même), les propriétaires parlent d’environ 5 000 € par an en moyenne, soit en gros le genre de somme qu’on envisage pour une Ferrari V12 (456, 550…). Ils conseillent également de se diriger vers des spécialistes du modèle plutôt que les concessions Ferrari, parfois incompétentes sur la F40. Mais bon, après avoir payé votre Ferrari F40 plus de 2 millions d’euros, vous avez bien ça pour le garagiste.

Conclusion :

Vous me connaissez, j’aime pas trop les légendes automobiles, mais force est de constater que la F40 est un monument. Pourtant elle n’a pas pour elle l’exclusivité d’un moteur de F1 (la F50 l’aura) ou d’endurance (les 962 et XJR-15 les auront). Si son design est très réussi, il n’est quand même pas très subtil à mon goût, mais ça fait partie de son charme. C’est un tout, un ensemble qui a marqué l’industrie (un peu moins la course, les résultats n’ayant jamais été à la hauteur des ambitions) et encore aujourd’hui une des Ferrari les plus célèbres (elle est arrivée pile au bon moment, aussi). Dernière auto conçue sous la supervision d’Enzo Ferrari, même s’il désapprouvait certains choix, elle est quand même un des jalons de la marque, et de l’histoire de l’automobile.

Comme d’habitude : si un lecteur possède une F40 et accepterait que je l’essaye sur Hoonited, qu’il n’hésite pas à glisser dans mes dm Twitter, comme on dit !

Toutes les photos des Ferrari F40

Sources photos : RM, DK Engineering, We Are Curated, supercars.net

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Julien Zlata